attendre l’île
attendre l’île, du centre même, la recevoir : des lentes, des sourdes poussées du fond sur le noyau de peine, jusqu’au débord – et ruine, l’accueillir telle : entière – désordre net, jailli du sel, du granit – pour être haut, interpeller le ciel, le vide – roc est vacance pleine, qui porte le monde – grain à grain, il use le temps, le désoeuvre – ni abri, ni muraille – l’île roule le corps de l’homme, marqué entièrement des trouées de sa bouche, de ses tranchants : elle allège par des saignées le poids de vivre – et sa pierre est aveugle, elle est chant et rien d’autre – inlassable, elle ouvre les solitudes en grand – toujours plus d’air, plus de souffle, pour ce qui fuit – le corps de l’homme est livré aux sirènes
île-langue, substance d’île : pâte d’un parler très ancien émancipé des bouches, courant dans la friche, dans la chair du pilote, de la sentinelle avancée – une foudre, une commotion – entre les côtes – un rapt sacré : jamais ne font retour l’identité, la connaissance
dans l’imprévisible des ciels, des mers brisées de pierres, l’incessant qui se réinvente – l’île-langue, l’air : à la jointure le vivant, sa patience, son ardeur – dressé au bord, pour l’écoute – où disparaissent les choses dans leur propre nom : exister n’a que faire des mots – seuls le saisissement, l’élan : exposer le vivant, le déployer, largement l’ouvrir à sa propre mortalité – en confiance – puis sonder la plainte, le vertige écumant, avec juste des cris d’oiseaux, des bleus d’esquilles – sans crainte
équinoxe : à même le mot, des mendiants – trop clairs, trop nus, sans planète, sans alignement : sur la pierre, de leur cuillère d’os, ils grattent le sel – ils ont le temps : celui qui de tout son poids exprime les larmes de la pierre – nox, oceano : nuit au centre, d’assaut, de charge – au renversement – veille dans ce bruit une lueur : le visage mort de l’éternité, pour qu’usure se fasse, délitement – poussière et cendre, tout est ramassé, resserré dans les doigts des mendiants – mais leur sel est comme la pierre : sans obéissance – il va, il les traverse – et toujours plus pauvres, les mendiants recommencent : ils grattent le sel – toujours là – tant de mers, à même le mot
horizon, de part et d’autre du corps – sur les bras tendus, le ciel repose
face comme roche claire : tournée, sans fond, au-dedans de soi – pour être là, posée – avec le calme, et le creux du temps pour mon épaule – face libre, la pierre : ce haut regard, ajusté sur l’infini – avec le jour près de la terre, le peu de mousse pour mon front, mon épaule – l’être seul de la pierre, son silence – ni mer, ni oiseaux, ni vent ne l’effleurent, ne laissent trace – ni la voix – cela qui est sans exigence, la pierre – toujours, porté plus loin, l’irréductible de son règne : l’absence – pour le repos, le corps, simplement adossé à sa force – pour un moment – avant que l’île
juste dans la face, dans le bloc, ce nid pour mon front, mon épaule – avec un peu de soleil dedans
visage : celui-ci, celui-là, perdu – dans la pierre, dans les dures limites – chargé d’oubli, il n’arrive plus : le présent s’acharne, immobile – bouche à phonèmes gris, le visage, pour le vent – pour qu’il siffle dans les fissures – avec l’écho, écrasé dans la pierre, embrassant le visage – au seuil des yeux les oiseaux divisent le néant – à coup d’ailes – démultiplient la menace, la compacité : l’autre, dans la pierre, est sans altérité – nature morte – dans le trou d’eau, mon visage : toutes ces pierres, dans un visage – tous ces refus – sous l’eau, dans le trou – en transparence – non venus au jour – mais au vide – dans la paix de l’île – dissous – dans l’apaisement
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Merci à Michèle Dujardin d’accueillir mon texte L’enfance au toucher sur son site abadôn.fr
Les échanges de blog à blog en vases communicants se nouent chaque premier vendredi du mois.
1 octobre 2010 at 9 h 47 min
puissante houle, la vie
1 octobre 2010 at 10 h 15 min
Ce texte me touche énormément
en particulier ces mots là : « île-langue, substance d’île : pâte d’un parler très ancien émancipé des bouches… »
1 octobre 2010 at 12 h 43 min
Magnifique. A relire lentement, dans le mouvement
1 octobre 2010 at 12 h 55 min
oui à lire dans un temps lent presque sans temps
et laisser houler